À Brooklyn, c’est littéralement le jour le plus chaud del’année. Mookie, un jeune afro-américain, est livreur à la pizzeria duquartier, tenue par Sal et ses deux fils, d’origine italienne. Chacun vaque àses occupations, mais la chaleur estivale va bientôt cristalliser les tensionsraciales.
Spike Lee signe sans doute son premier opus majeur avec cefulgurant Do the right thing. C’est un projet en germe à plusieursniveaux depuis les débuts du réalisateur. Le film retrouve ainsi le cadre duquartier new-yorkais de Bedford-Stuyvesant à Brooklyn, déjà présent dans sonpremier film étudiant Joe's Bed-Stuy Barbershop: We Cut Heads (1983). SpikeLee s’inspire également de diverses bavures policières médiatiques de l’époquecomme la mort d’Eleanor Bumpurs, mais aussi des discussions qu’il eut avecRobert de Niro (premier choix pour le rôle finalement tenu par Danny Aiello) àpropos des émeutes de Howard Beach en 1986 qui vit un groupe d’afro-américainsattaquer ce quartier italien de New York.
Spike Lee fait de ce quartier le microcosme d’une Amériquecosmopolite dont il capture une fraternité fragile, mais surtout les tensionspalpables. L’essentiel du film est une tranche de vie et un récit choralsuivant divers habitants du quartier qui souligneront un motif larvé de deconflit. L’atmosphère caniculaire fait de ce cadre un cocotte-minute prête àexploser, la chaleur semblant être l’élément qui va faire rompre les diguesbranlantes du vivre ensemble. L’escalade de violence sera le pinacleapocalyptique d’une narration pourtant faites de séquences humoristique,parcourues de figures pittoresque qui participent à l’identité et vie de cequartier auquel on s’attache immédiatement. La mixité et le rejet sont deuxfacettes qui s’attirent et se rejettent de bout en bout. La pizzeria locale esttenue par Sal (Danny Aiello), figure bourrue et paternelle attachée au lieu età ses habitants à travers une clientèle juvénile qu’il a souvent vu grandir. Ondevine qu’il a probablement ouvert à une époque où la population était àdominante italo-américaine, identité qu’il maintient avec un mur de photo decélébrité de cette origine. Ce choix décoratif à la fois anodin et significatiflui sera reproché par Buggin Out (Giancarlo Esposito), client vindicatif mais assezinoffensif.
C’est ce même genre de petits conflits «ordinaire»qui rythme le quartier et opposent plus ou moins gentiment les communautés. Laradio débitant à haut volume les décibels hip-hop de Radio Raheem (Bill Nunn)lui valent les invectives des latinos écoutant leur salsa, puis de Sal dérangé danssa pizzeria. Les trois poseurs oisifs et goguenards jalousent la réussite descoréens ayant déjà ouvert un commerce, et ce trouvent à leur tour à invectiveret stigmatiser un «autre», un étranger faussement responsable deleurs échecs. Le métissage existe de manière concrète ou symbolique, maisrepose toujours sur un motif de conflit. Ainsi Mookie (Spike Lee) est en coupleune petite amie latino, Tina (Rosie) mais s’avère une amante et un pèreirresponsable. De même Pino (John Turtturo) assume la contradiction d’admirerdes célébrités noires (Magic Johnson, Eddie Murphy, Prince) tout en ne masquantpas son racisme et dégoût à la proximité constante des «nègres» qu’ilest forcé de côtoyer. La fluidité, l’énergie et la virtuosité de la caméra deSpike Lee offre un liant omniscient nous faisant passer d’un bout de ruelle à l’autre,jongler entre les communautés. Cela témoigne aussi par ses effets de montagesheurtés, ses contre-plongées et gros plans saisissants des désagréments etconflits faussement inopinés qui entretiennent l’étincelle qui aboutira aubrasier final.
La moiteur qui écrase l’ensemble des personnages les place àégalité face à un mal supérieur. Chacun a ses motifs d’insatisfactions maisaussi ses tares dans sa manière d’y répondre, mais c’est en définitive une mêmeinjustice et violence sociale qui les engluent ensemble. Celle-ci estreprésentée par la présence policière, aussi lâche pour calmer lesressentiments que pour les exacerber dans un final dantesque. Dès lors, mêmeles figures apaisées qui passer sans heurts d’un espace à l’autre prennentparti avec Mookie, personnage insouciant qui sonne soudainement la révolte. Cevirage final coûtera sans doute la Palme d’Or à Spike Lee en 1989, le présidentdu Jury Wim Wenders reprochant au film l’absence d’héroïsme de Mookie durant ceclimax – il récompensera Sexe, mensonges et vidéo de Steven Soderbergh.
Le script original de Spike Lee envisageait une conclusion plus pacifiste etapaisée entre Mookie et Sal, mais le réalisateur fait un choix plus ambigu. Ladouble citation finale préconisant la solution pacifiste selon Martin LutherKing ou justifiant la violence de Malcolm X ne signifie pas une absence dechoix de la part de Lee, mais plutôt un contraste entre l’apaisement espéré deKing et l’inévitable affrontement envisagé par Malcolm X - annoncé par les bagues orné d'un Love et Hate de Radio Raheem. C’est une lucidité qu’assumeSpike Lee, conscient du mal rongeant son pays et refusant le manichéisme facile– volonté qu’on retrouvera notamment dans Jungle Fever (1991).
Sorti en bluray chez Universal